29 Jan 2017 | 2

Tout savoir sur le Grand Cuisine Cinéma Club (interview de Mat Gallet, son fondateur)

Il y a un plus d’un mois, j’ai assisté à un évènement culinaire lyonnais un peu fou, le Grand Cuisine Cinéma Club (GCCC). Le principe ? Regarder des documentaires culinaires en mangeant de la very good food.

Suite à un malentendu, j’ai crû que je ne pourrais pas assister à la séance que je voulais et avec qui je voulais. Une fois le problème réglé (merci encore l’organisation !), j’étais donc encore plus impatiente d’assister à la projection/dégustation accompagnée d’une amie aussi foodie que moi (j’ai nommé ma fidèle commentatrice, Aurélia). C’est peu vous dire que je n’ai pas été déçue ! Autant à l’écran que dans l’assiette (ou plutôt, sur les plateaux), le résultat était là : bluffant, interpellant (ça se dit ?) – en un mot, inoubliable !

Plutôt qu’une description, j’ai préféré vous proposer une rencontre avec Mat Gallet, le fondateur du GCCC. Interview-fleuve dans le décor classé du Café du Rhône par une après-midi glaciale de janvier pour tout savoir du pourquoi et du comment du Grand Cuisine Cinéma Club.

Mat Gallet par Brice Robert

Mat, qui es-tu ? D’où viens-tu ? Que fais-tu ? 

J’ai 40 ans, je suis lyonnais d’origine mais j’ai la chance actuellement de partager ma vie entre Lyon et Paris. J’ai vécu ailleurs aussi : au Vietnam, à Hong Kong, etc. J’ai commencé très tôt à travailler avec pour objectif de voyager. J’ai été conseiller financier dans une banque puis j’ai monté un tour operator avec des copains. Nous étions spécialisés dans les voyages en bus à travers la planète et autour des festivals de musique. J’ai ensuite été journaliste pendant près de 10 ans pour plusieurs magazines : Lyon Capitale, 20 Minutes, Télérama, L’Express, A Nous et Elle. J’écrivais sur la musique, la culture et la bouffe. J’ai notamment collaboré au Fooding. Et puis j’en ai eu marre de parler des gens qui font et ai eu envie de faire moi-même. Je suis donc allé du côté des festivals : j’ai intégré l’équipe des Nuits Sonores* dès le début, j’ai monté le programme Extra, la partie gratuite du festival, dont je me suis occupé pendant 10 ans. J’ai aussi bossé aux Invit’ de Villeurbanne. Et j’ai contribué à la création du Sucre ** en 2013. Je me suis arrêté en 2014  et ai monté ma propre agence de conseil en événementiel en 2015, la même année où j’ai monté le GCCC. Je suis aussi planneur stratégique pour pas mal de marques culinaires.

* Festival de musique électronique et musiques indépendantes créé en 2003 et se déroulant tous les mois de mai à Lyon

** Lieu culturel situé quai Rambaud, sur le toit de la Sucrière, bâtiment historique du quartier de la Confluence à Lyon

Entrée du Sucre, en haut de la Sucrière, construite dans les années 1930

Comment est née l’idée du GCCC ? 

Le GCCC est né par hasard, par sérendipité, comme on dit. Un soir du mois de juillet 2015, je regardais un documentaire sur la sauce Sriracha chez moi à Paris – j’ai toujours beaucoup regardé de documentaires, culinaires en particulier. C’est la sauce piquante qu’on trouve dans tous les restos asiatiques, la sauce la plus vendue au monde. Quelques minutes plus tard, j’allais retrouver un ami pour manger des tapas à la Cave à Michel, à Belleville, chez le chef Romain Tischenko. On nous a servi du haddock poché dans une sauce lactée à la Sriracha. Là, ça a fait tilt avec le film que je venais de voir ! Ça faisait une heure et demie que j’avais envie de manger de la Sriracha et je me suis dit que ce serait super chouette d’organiser un évènement où l’on mange ce qu’on voit à l’écran. L’idée de la première édition du GCCC était née !

Le lundi, à Lyon, j’ai testé cette idée lors d’une séance de « Mash ton pitch » spécial food à la Cordée (un espace de coworking lyonnais) : elle a eu beaucoup de succès. Le mardi, j’ai appelé le Sucre pour voir s’ils avaient une date disponible. Et 40 jours plus tard avait lieu la première édition du GCCC, le 13 septembre 2015 ! On a organisé ça en mode commando, en groupe resserré : on était deux, Patricia Meunier et moi !

Pourquoi l’organiser à Lyon ?

J’avais envie d’organiser le prototype de l’évènement dans un lieu demandeur de projets similaires. J’étais aussi rassuré parce que je connaissais toute l’équipe du Sucre. Monter un évènement de cinéma et de gastronomie dans la ville des Frères Lumière et de Paul Bocuse, ça avait beaucoup plus de sens qu’à Dunkerque ou à Toulouse, c’était logique.

Comment s’est déroulée cette 2ème édition lyonnaise ? Qu’est-ce qui la différenciait de la 1ère édition ?

Le CGGG, c’est avant tout un événement de cinéma où l’on mange. L’édition de 2015, qui s’appelait Food Maniacs, avait réuni plus de 1 000 personnes, autour de 12 documentaires et 15 plats. On a aussi fait une édition parisienne en juin 2016, à la Riviera, un lieu éphémère.

Pour la 2ème édition lyonnaise, on a choisi le thème Disruption. La disruption, c’est l’innovation par la rupture. On a choisi de refaire ça au Sucre mais avec tout le monde assis à des tables, face à l’écran, à côté de ses voisins, avec qui partager les plateaux, pour accentuer l’aspect convivial. On a organisé 3 séances (11h30, 15h, 19h30) le dimanche 18 décembre et on a vite affiché complet, avec 200 personnes au total, à 45 euros la séance. Pour cette édition, on a projeté quatre documentaires, dont Noma au Japon, quatre mois avant sa sortie officielle en France, et réuni les chefs de trois restaurants lyonnais : le Substrat, Les Apothicaires et La Bijouterie.

Qui a choisi les films, et sur quels critères ?

Trouver les films, c’est la vraie complexité dans l’organisation d’un tel évènement. Environ 150 films de cuisine sortent tous les ans, mais peu arrivent en France et sortent au cinéma. C’est moi qui fais la veille puis rentre en contact avec les boîtes de production. Il y a tout un travail pour récupérer les films, les traduire, en faire la synchronisation. Pour cette édition, j’en ai vu à peu près 250. J’en « mange » plein d’un coup : c’est par période ! J’avais plein d’idées d’interventions comme de documentaires pour cette édition, mais il a fallu faire des choix. J’ai choisi ceux qui correspondaient au thème de la rupture, j’ai privilégié une certaine rythmique. Je voulais des films inspirationnels ou qui ouvrent une porte mentale, des films qui laissent une trace dans la mémoire du spectateur.

Les chefs au boulot, sur la scène du Sucre, pendant la projection 

Crédit photo : Pascal Montary

Comment s’est fait le choix des chefs et du menu ?

Je voulais projeter Noma au Japon et ai réfléchi à des chefs qui avaient vécu cette expérience-là. Ludovic Mey a travaillé chez Noma, à Copenhague, et Tabata Mey a même fait partie de la test kitchen qui est partie au Japon avec René Redzepi. J’ai aussi vite pensé à Hubert Vergoin, du Substrat, et à l’équipe de la Bijouterie, qui est ultra-créative. J’aime leur rapport au produit. Et puis ils étaient contents de travailler tous ensemble, eux qui n’ont pas trop le temps de se voir en-dehors des leurs restos. Je me suis dit que je tenais une brigade de fous !

Les chefs ont vu le film trois semaines avant le GCCC et élaboré leur menu deux semaines avant. Ils avaient carte blanche. On leur a juste demandé de sortir de leur zone de confort. Le menu est resté secret jusqu’au matin même. On n’a divulgué aucune information aux personnes qui avaient réservé. Et aucun plat n’a été associé à un chef : on voulait garder l’esprit d’équipe et de solidarité. On n’est pas des militants mais, de fait, le menu était à 75 % végétal et on a privilégié les produits locaux, les vins nature et en bio-dynamie.

Et pour la prochaine édition, qu’est-ce que tu nous concoctes ?

J’aimerais qu’elle ait lieu tous les six mois, avoir une édition d’hiver et une édition d’été. J’aimerais faire venir des chefs qui ne sont pas lyonnais mais le problème est la production. On aimerait aussi travailler avec des partenaires. Moi, ce que je défends par-dessus tout, c’est le fait de recréer de la convivialité dans un événement culturel. Après, ça peut prendre des formes différentes. On souhaite écrire doucement une histoire dans le temps, être dans notre époque.

Merci à Mat Gallet, organisateur du GCCC, pour cette longue interview et à Brice Robert et Pascal Montary, photographes.

Hubert Vergoin devant les plateaux de « l’appel de l’aventure »

Crédit photo : Brice Robert

LE GCCC EN DETAILS :

Les chefs (accompagnés de leurs commis respectifs) :

Tabata et Ludovic Mey, des Apothicaires

Hubert Vergoin, du Substrat

Arnaud Laverdin, Noé Saillard et Ryan Dolan, de La Bijouterie

Le menu, réalisé à 6 mains, adapté à la saison et aussi en rupture que les films tout en étant archi-réconfortant :

L’appel de l’aventure

Bouillon de poule de l’Ain et champignons, céréales et graines

Céleri rôti au foin, crumble de cacao et beurre blanc miso (Mon plat préféré tellement j’y ai redécouvert le céleri rave)

Œuf, pomme de terre, katsuobushi, œuf de saumon

Climax

Truite du Vercors au sel d’épicéa, crème fumée « Basta », airelles

Risotto graines de tournesol, ortie fermentée

Rutabaga, cappucino de malt chocolat, population corn bourbon, cuixot

Cliffhanger

Salsifis au sirop reine des prés, croustillant de marrons et de cèpes

Aebleskiver pomme et ail noir

Gyoza Gianduja

Les films

En partenariat avec Munchies (la plate-forme du magazine Vice dédiée à la food) la Métropole de Lyon

Un documentaire intitulé Food Hacking, qui fait partie d’une série proposée par Simon Klose : il y interviewe une chercheuse japonaise qui utilise la réalité virtuelle pour changer la perception du goût !

Un documentaire sur Steven Spurrier, une légende britannique dans le monde du vin

Un documentaire de Paul Riccio sur les Timmy Brothers, une parodie sur des producteurs d’eau artisanale, basés à Brooklyn

Le documentaire Noma au Japon de Maurice Dekkers (sortie officielle le 15 mars 2017)

L’équipe du GCCC au complet

Crédit Photo : Pascal Montary 

De gauche à droite, en bas : Hubert Vergoin (Substrat), Freda Bertet, Camille Lenoble, Tabata Mey (Les Apothicaires), Arnaud Laverdin (La Bijouterie), Rémy Havez (chef pâtissier à La Bijouterie), Ludovic Mey (Les Apothicaires), Mat Gallet, Patricia Meunier, Thibault Martel, Noé Saillard (La Bijouterie)

En haut : Julien Gangand (La vigne sous la plume)

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2 comments

  1. aurel dit :

    Bon forcément je laisse un petit commentaire : MERCI
    *de m’avoir proposé de venir avec toi puisque j’avais réussi à passer complètement à côté de cet événement hallucinant !!!!
    *pour cette interview passionnante, c’est génial de suivre tout ce qui s’est passé avant cette journée du 18 Décembre…
    Franchement chapeau à Matt Gallet pour cette idée géniale, moi qui garde un souvenir délicieux de la bijouterie et du substrat, j’ai adoré retrouver leur esprit culinaire dans ces plateaux « sauvages »… Quant aux apothicaires ça m’a donné envie d’y aller forcément…
    Bref tu le sais j’ai adoré ces documentaires, ce déjeuner incongru en plein milieu de l’am et lire cette interview ne fait que renforcer ma volonté de ne pas rater la prochaine édition !!!!
    Je valide d’ailleurs à fond l’idée de deux sessions par an, et pourquoi pas une par saison tant qu’on y est ??????

    • Anne-Liesse dit :

      Ce « déjeuner incongru en plein milieu de l’après-midi » : c’était tout à fait ça, notre séance de 15h !!, mais ça m’a vraiment convenu (j’avais bien faim, ça a aidé).
      Oui, quelle merveilleuse idée que ce GCCC et, après 3h passées à interviewer Mat Gallet, je suis encore plus admirative… et curieuse des prochaines éditions. J’adore rencontrer des gens passionnés, habités par leur désir de faire partager leur passion… et, qui plus est, y parviennent !
      Je ne sais si j’aurais envie d’une édition par saison : j’aime l’idée du manque, de l’attente et du désir qui renaît. Pas sûre d’avoir envie de m’enfermer à regarder des docu une après-midi de printemps ou d’été non plus… Mais, en tout cas, ravie à l’idée de remettre ça avec
      toi !

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