Hier, j’ai lu la dernière newsletter des Glorieuses, rédigée par Rebecca Amsellem. Elle y parle de l’injonction actuelle à la productivité pendant cette période de confinement, et de sa difficulté à elle à se concentrer et produire quoi que ce soit. Et surtout, elle cite l’autrice irlandaise Anne Enright, interviewée il y a quelques jours dans le Guardian (c’est ici pour la V.O.), aux côtés d’autres auteurs qui partagent leur manière de surmonter cette crise.
Honnêtement, il y a beaucoup à dire sur le fait de traîner toute la journée, de chercher des recettes et ne pas les faire, de ne pas se soucier de peindre le salon ni d’écrire un roman. Au milieu du désordonné moment où il ne se passe rien – appelé votre milieu d’après-midi, vous pourriez obtenir quelque chose – une pensée à noter, un bon paragraphe, un potin pour envoyer un texto à un·e ami·e. L’ennui est un état productif tant que vous ne le laissez pas vous envahir. Essayez de ne pas confondre l’envie de faire quelque chose avec l’idée que vous êtes inutile. Essayez de ne pas confondre l’envie de contacter quelqu’un avec la pensée que vous n’êtes pas aimé. Faites la chose ou ne la faites pas. Les deux sont ok.
Anne Enright (traduction Rebecca Amsellem)
S’ennuyer… ou pas !
Ce texte m’a tout de suite parlé car l’ennui et moi, ça fait deux ! Non pas que je ne l’aime pas mais je m’ennuie rarement. Et ce confinement ne fait pas exception ! Face à l’angoisse qui a accompagné la fermeture des écoles, la préparation du confinement, le ralentissement soudain de notre économie, j’ai commencé ces chroniques. Et suite à l’arrêt des marchés, j’ai lancé un groupe Facebook local, qui me donne du travail et est l’occasion de riches échanges locaux. Ces actions ont-elles été une manière de combler un vide dont j’aurais eu peur avec le confinement ? Pas sûr : elles donnent surtout du sens et un but, une raison d’être (a purpose) à mes journées, en plus de m’occuper de mes enfants, des repas, de l’approvisionnement, et du travail aussi !! Mais quand vais-je voir le temps de m’ennuyer avec tout ça ?!
Laisser le vide se remplir seul
L’ennui fait peur. On ne laisse pas souvent les enfants s’ennuyer d’ailleurs : on leur propose un jeu, on les invite à prendre un livre ou un magazine, on les enjoint à l’action quand on les voit traîner sur le canapé. L’ennui, le vide : la peur de ne pas être productif, utile, aimé·e. Ça nous parle à tous, non ? Et si ce confinement (pour celles et ceux qui ne sont pas occupé·e·s à travailler comme des fous à l’extérieur, et je les remercie en passant) était l’occasion rêvée de laisser du vide, des vides, dans nos journées ? Du rien, du peu, du moins, du creux, du lent, du que pour soi, face à soi, seul·e – et heureux de l’être.
La revanche des introvertis
C’est l’expression de la romancière britannique Jeannette Winterson (dans le même article du Guardian) et je l’adore car je m’y reconnais à fond. Dans ce monde à tendance extravertie tourné vers l’action et le mouvement, nous vivons enfin une pause. Pour l’introvertie que je suis (ambivertie, plutôt, d’ailleurs) la vie en confinement n’est ni plus ni moins celle que je vis habituellement (j’en ai déjà parlé dans la chronique #21 : L’ovni). Grosso modo, soit, mais cette confrontation avec moi-même m’est très familière : j’aime être seule, ne parler à personne pendant des heures, travailler en silence et sans distraction à longueur de journée. Je vous rassure : je sors et ai des contacts sociaux, mais je les choisis avec parcimonie.
Plus loin, plus fort
Pourtant, ce confinement me pousse dans mes retranchements, mes questionnements les plus personnels. Il m’interroge sur mes liens sociaux, mon utilité citoyenne, mes compétences professionnelles, mes qualités humaines. Il est tantôt constructif (on est tous solidaires, je reçois des compliments et encouragements suite à mes chroniques et actions), tantôt douloureux (« Et pourquoi personne ne m’a proposé d’apéro WhatsApp, à moi ? » « Et pourquoi ma mère est-elle toujours aussi peu bienveillante alors qu’on peut encore tous mourir de ce coronavirus ? »). Ce confinement est un merveilleux révélateur de ce qui est au fond de nous : le pire comme le meilleur, les rêves brisés comme ceux qui ne demandent qu’à éclore. Et je ne sais pas vous mais moi, je me dis qu’il est urgent de déconnecter. D’internet, entre autres, évidemment, et de tous les contenus qu’on ingurgite – sauf le mien peut-être ?… mais pourquoi pas ralentir le rythme de ces chroniques pour laisser la place au vide, si je veux être cohérente ?…
Il est urgent de laisser l’ennui nous habiter quand il vient, de laisser de la place au vide, au rien, de profiter de cette pause comme un cadeau pour creuser tout ça, aller encore plus loin, plus profond. La lumière est au bout, non ?
Alors, quand est-ce qu’on s’ennuie ?
Take care, stay in & stay safe!
Postambule : Partant du principe que les angoisses se gèrent mieux quand elles sont écrites (en ce qui me concerne, en tout cas !), face au confinement et à toutes les conséquences humaines, économiques et sociales du coronavirus, j’ai décidé d’écrire sur mon blog, tous les jours de cette période anxiogène, une chronique, plus ou moins longue.
Sans prétention littéraire, sans même vous garantir qu’elle reposera sur des faits réels. Juste des mots posés, pour me faire du bien, et peut-être à vous aussi. Avec une jolie photo en illustration pour ne pas oublier la beauté du monde qui nous entoure.
Une belle chronique pleine de sagesse. Moi non plus je ne connais pas l’ennui. Le doute s’installe: je passe peut-être à côté de quelque chose?