Flash info d’Europe 1, lundi 2 mars 2009, 19h : deux étoiles ont été attribuées d’entrée par le guide Michelin à Mathieu Viannay, aux commandes de l’institution lyonnaise La Mère Brazier. Là, mon sang ne fait qu’un tour et la critique gastronomique que je ne suis pas décide de se lancer pour crier son désaccord.
Flashback : vendredi 13 février 2009, 21h, La Mère Brazier. Ce soir, nous fêtons à la fois mon anniversaire et notre anniversaire de mariage. Mathieu Viannay, Meilleur Ouvrier de France en 2004, a repris ce mythique restaurant il y a quelques mois déjà (octobre 2008, pour être précise). Curieux de découvrir ce qui fait un tel buzz, nous avons décidé de tester ce La Mère Brazier qui fut triple étoilé au Michelin pendant 35 ans et où, en son temps, se faisait et défaisait la vie politique lyonnaise.
Nous entrons par le couloir principal, élégant, et on nous installe dans un des petits salons aux fameux vitraux opaques censés protéger des regards indiscrets de la rue. La décoration est sobre, les couleurs un peu tristounes, et le fil électrique qui pend dans un coin attire d’emblée notre regard. D’accord, à part ce fil, tout est nickel mais quand même, ça me dérange. Passons.
En chiens de faïence
Le maître d’hôtel, guindé, vient nous présenter la carte. Les mots craquent dans sa bouche comme le vieux parquet au-dessus de nos têtes (les petits salons étant répartis sur deux étages). Il est heureusement suivi par un jeune serveur plus chaleureux, quoiqu’un peu hésitant (j’entendrai ensuite qu’il n’est dans la maison que depuis un mois). Nous sommes curieux de la réinterprétation qu’a pu faire Mathieu Viannay des plats de la Mère Brazier (même si nous ne goûterons pas à la célèbre volaille demi-deuil). Nous sommes aussi là pour découvrir son travail original puisque nous ne sommes jamais allés à son autre restaurant lyonnais, nommé M.
Un petit bouillon de galanga (le gingembre asiatique) et accra de haddock plus tard, nous avons décidé, pour Gilbert, de prendre le menu dégustation (75 euros) avec les fameux artichauts foie gras (une recette historique d’Eugénie Brazier), un homard rôti et pommes de terre écrasées aux huîtres d’Isigny et une fricassé de ris de veau et homard, jus de carapaces, et pour moi de me « contenter » du velouté de châtaignes, céleri et truffes, tartine grillée aux truffes (40 euros) et du saint-pierre à la plancha et travers de cochon, carottes acidulées et tamarillos (34 euros). Suite à ma question sur les tamarillos, les tomates des arbres, j’ai droit à un mini cours magistral par mon copain le maître d’hôtel. Je n’en demandais pas tant.
De la belle ouvrage… mais pas d’émotion
Comment vous expliquer ? Tout était parfait, techniquement. Respect pour le travail du chef et de son équipe, donc. Les cuissons étaient précises, tout était onctueux, fondant ou croquant à souhait, irréprochable, mais rien ne nous a conquis, séduits, emportés. Aucune alliance de saveurs ne nous a titillé les sens. Rien ne nous a laissé ce souvenir impérissable qui fait que, des années plus tard, on se rappelle avec émotion un plat… et le doux moment qu’on a passé grâce à lui.
Le velouté de châtaignes m’a semblé un peu fade et, si j’admets qu’il était meilleur que celui que j’avais fait moi-même 15 jours plus tôt, je ne suis pas restée béate d’admiration, me demandant avec jalousie comment une ménagère pourrait imiter un tel plat. Je n’ai pas boudé la petite tartine grillée aux truffes qui l’accompagnait, mais son irrésistible attrait reposait surtout sur la dose de matière grasse qui gonflait le pain de mie.
Gilbert semble avoir été content de son artichaut-foie gras et de son homard mais les pommes de terre écrasées aux huîtres n’ont fait que nous rappeler combien la purée à l’huile d’olive de Nicolas Le Bec, un autre restaurateur lyonnais, nous avait ravi le palais il y a deux ans déjà. A tel point que nous en avions redemandé ! Et que nous pensions déjà à la prochaine occasion où revenir à peine sortis du resto.
Je ne m’attarde pas sur le ris de veau ni sur les desserts, toujours aussi professionnels mais sans aucune étincelle. Je n’ai pas compris l’utilité de la petite madeleine au miel servie avant le dessert. Riche et dense (et savoureuse), elle ne m’a pas aidée à apprécier la tarte (pas si) fine à l’orange qui l’a suivie. A ce stade, j’étais aussi un peu contrariée de voir mon verre de vin resté désespérément vide…
Car, tout resto étoilé qu’il est maintenant, La Mère Brazier par Mathieu Viannay, pour moi, ça sera aussi le souvenir d’un repas où il a fallu réclamer à boire (eau ou vin) à plusieurs reprises (je vous passe le cas du pain qui me manquait pour finir mon fromage…). L’eau, comme dans tous ces restos huppés, était « délocalisée » et donc inaccessible. Et nous avons même cru un moment que le sommelier avait fini son service puisqu’il nous a fallu attendre une demie-heure avant qu’il ne réapparaisse. Nous avions décidé de prendre le vin au verre et, toute petite buveuse que je suis, au dessert, j’avais largement fini mon premier verre. Gilbert, lui, n’avait pas fait l’erreur de s’absenter aux toilettes (très chic avec leurs belles faïences) et avait été resservi.
Les vins au secours des plats
Je n’en veux pourtant pas tant que ça au sommelier car, sans lui, mon expérience chez La Mère Brazier ne m’aurait laissé aucun souvenir gustatif. Je m’explique : malgré l’attente (qu’il n’a pas cru bon d’excuser), cet homme aimable m’a permis grâce à ses judicieux conseils de découvrir des vins qui m’ont procuré dix fois plus de plaisir que les plats du chef.
Pour les amateurs, voici le détail :
– un Coteaux du Languedoc blanc 2007, « Tête de Bélier », Château Puech Haut (10 euros le verre) pour accompagner mon velouté de châtaignes,
– un Meursault 2006 , Bouchard Père & Fils (12 euros le verre) pour l’artichaut-foie gras de Gilbert,
– un Gevrey-Chambertin 2006, Arlaud (12 euros le verre) avec le ris de veau
– un Val de Loire, « Le fruit défendu », domaine des Sablonnettes (6 euros le verre) avec ma tarte fine à l’orange
– et enfin un vin des Pouilles 2006, Aleatico Passito, Maison Farnese (10 euros le verre) avec la glace caramel au beurre salé et tube croustillant au grué de Gilbert.
Je vous conseille particulièrement le Château Puech-Haut, que j’ai trouvé infiniment subtil, raffiné, à la fois rond et fruité de prime abord, puis minéral.
Ce n’est qu’alors que nous nous apprêtions à partir que l’atmosphère s’est détendue un peu, le maître d’hôtel osant une blague et Mathieu Viannay esquissant un sourire en nous raccompagnant. A la caisse, située dans la salle du bar (lui aussi orné de faïences murales), j’ai regretté de ne pas avoir dîné là, dans cette pièce beaucoup plus colorée et vivante que le petit salon où nous étions. Et c’est ce que je retiens de mon expérience : des regrets et de la déception. J’aurais aimé plus de simplicité dans le service et de surprise et d’originalité dans l’assiette. D’où ma grande incompréhension face à ces deux étoiles Michelin. Nicolas Le Bec, nous (re)voilà !
La Mère Brazier par Mathieu Viannay – 12 rue Royale – Lyon 1er
04 78 23 17 20 – fermé le week-end
M – 47 avenue Foch – Lyon 6ème
04 78 89 55 19
NB : Le restaurant M a été repris par le chef Julien Gautier (ancien chef de Mathieu Viannay) en 2010.
Nicolas Le Bec (2 étoiles au Michelin aussi) – 14 rue Grôlée – Lyon 2ème
04 78 42 15 00 – fermé dimanche et lundi
NB : Tous les restaurants lyonnais de Nicolas Le Bec sont désormais fermés et ce dernier est parti à Shanghai.