Cet été, au mois de juillet, je suis tombée sur une interview de Clotilde Dusoulier, qui tient le blog Chocolate & Zucchini, par Debbie Koenig, chroniqueuse et auteure du livre Parents Need to Eat Too (Les parents aussi ont besoin de manger), publié en février 2012. Cette interview m’a tant intéressée que j’ai regretté de ne pas l’avoir faite moi-même. J’ai déjà interviewé Clotilde pour mon blog mais, à l’époque, je me suis intéressée à son rapport à la langue anglaise, fascinée que je suis par la qualité d’écriture de son blog bilingue. Or Clotilde est devenue maman il y a près d’un an et demi et son rapport à la cuisine et à l’écriture culinaire a de ce fait subi des changements. Des changements dont nous avions un peu discuté à l’occasion d’un déjeuner chez Rose Bakery l’hiver dernier mais dont je n’avais pas pensé faire un billet.
Au lieu de rester sur mes regrets, j’ai décidé de demander à Debbie si elle accepterait que je traduise son interview de Clotilde pour mon propre blog. Elle m’a tout de suite répondu qu’elle en serait ravie. Je l’en remercie ici chaudement. Si le sujet des parents qui cuisinent vous intéresse, je vous invite à retrouver sur le blog de Clotilde la série du même nom, qu’elle a démarrée en décembre dernier. Pour lire l’interview originale (en anglais) de Debbie, cliquez ici. Je n’ai volontairement pas inclus l’introduction de Debbie pour ne garder que les questions/réponses de l’interview même.
Milan vient d’avoir un an. Vous avez fini d’écrire The French Market Cookbook juste avant sa naissance et vous avez procédé au travail d’édition alors qu’il n’était qu’un nourrisson. Toutes mes félicitations pour avoir relevé ce challenge, ma belle ! J’aimerais que vous nous racontiez comment cela s’est passé de mettre au point des recettes et d’écrire un livre de cuisine tout en étant enceinte puis jeune maman. Avez-vous eu des envies particulières enceinte ? (J’ai pour ma part mangé environ 1000 mini-bagels nature pendant le premier trimestre. Ils m’évitaient de sentir les nausées.) Comment avez-vous fait pour faire les révisions de vos recettes en état de manque de sommeil chronique ?
Ecrire un livre de cuisine tout en étant enceinte n’a représenté un challenge pour moi que lors du premier trimestre tristement célèbre. J’ai eu des nausées et me suis sentie en état de décalage horaire pendant plus de trois mois (mon arme anti-nausées à moi était les digestive cookies McVities) et ce n’est évidemment pas un état propice quand on doit cuisiner, tester et goûter des recettes. Je m’en suis sortie en acceptant la situation avec philosophie et en travaillant sur d’autres projets, ou d’autres aspects du livre, pendant cette période. Par chance, j’avais pris un peu d’avance sur mon travail et j’ai aussi parlé à mon éditeur et négocié une petite rallonge de délai pour prendre en compte ce retard.
J’ai eu la chance que le reste de ma grossesse se déroule sans aucun souci : je me suis sentie en forme et pleine d’énergie jusqu’au jour de la naissance (qui nous a un peu pris par surprise), ce qui m’a permis de finir le travail sur mon manuscrit en toute sérénité. Ce que j’ai apprécié pendant que je travaillais sur ce livre de cuisine, c’est qu’il s’axe sur des recettes simples et colorées mettant les produits frais à l’honneur. C’était exactement le genre de nourriture que mon corps réclamait et que j’étais aussi supposée manger. Voilà une thématique que mon médecin pourrait soutenir, bien plus que si j’avais écrit un livre sur 50 types de cronuts* !
Pendant toute ma grossesse, j’avais aussi conscience que j’étais dans une situation enviable : comme je travaille de la maison, aux horaires que je veux, je pouvais faire une sieste ou travailler dans mon lit les jours où j’en avais besoin et rattraper le temps perdu les jours suivants, sans demander l’autorisation de qui que ce soit. J’ai le sentiment que cette souplesse d’organisation a été essentielle à mon équilibre mental et ça l’est encore maintenant, avec un enfant d’un an qui ne dort pas toujours aussi bien que je le souhaiterais.
Vous n’avez arrêté de bloguer que pendant 6 semaines après la naissance de Milan (je n’ai pour ma part pas publié de nouvelle recette avant que Harry ait 7 mois !!!). Avez-vous trouvé, comme moi, que c’était difficile les premiers mois ? Comment vous en êtes-vous sortie ?
Eh bien, c’est compliqué. J’ai en effet trouvé que les premières semaines après la naissance étaient éprouvantes, de bien plus de façons que prévu, et il m’a fallu pas mal de temps pour m’adapter et trouver mon rythme. Mais ce qui a été le plus difficile à mes yeux – hormis le manque de sommeil – est le fait qu’au début, la vie telle qu’on l’a menée auparavant semble être révolue (bonne nouvelle : elle ne l’est pas !). Je mourais d’envie de trouver du temps pour faire les choses que j’aime, c’est-à-dire pour moi, cuisiner et écrire. Alors j’ai plutôt bien vécu le fait de ne pas rester éloignée de mon blog trop longtemps.
Malgré tout, sur ce point, je referai les choses différemment si c’était (ou c’est un jour) à refaire : je me serais mieux préparée pour prendre le temps d’un vrai congé maternité. J’avais prévu d’écrire des billets de blog à l’avance ainsi que d’anticiper deux mois de mes contributions régulières avant la naissance mais au final, je n’y suis pas parvenue. Et même si je n’avais pas une somme extravagante de choses à faire, les quelques délais que j’avais à tenir ont pesé lourd sur mes épaules pendant les premières semaines où il aurait vraiment été préférable de « dormir quand le bébé dort ».
De quelle manière votre façon de cuisiner a-t-elle changé depuis que Milan est né ? Quelles sont ses nourritures préférées ces temps-ci ?
Au départ, j’ai quasiment arrêté de cuisiner. Maxence prenait le relais ou il rapportait des plats à emporter en rentrant du travail (quel bonheur de voir arriver le repas tout prêt !) et ma mère m’apportait des fraises, de belles têtes de laitue et de la compote de rhubarbe. J’ai mangé beaucoup de pâtes froides avec des courgettes et beaucoup, beaucoup de chocolat noir. Puis, petit à petit, je me suis remise à préparer des choses simples pendant que Milan dormait dans l’écharpe de portage. Nous dînions fréquemment tandis qu’il dormait installé ainsi et avons souvent retrouvé des miettes ou de la ciboulette dans ses cheveux après coup.
Actuellement, ma façon de cuisiner est redevenue peu ou prou normale, même si je fractionne beaucoup plus les étapes de préparation qu’auparavant. Il m’a fallu tout ce temps pour mettre en pratique la puissance de la mise en place ! Je consacre quelques minutes par ci, par là, pendant la journée à laver et couper les légumes pour pouvoir les faire cuire au four ou les faire sauter à la poêle à l’heure du dîner parce que je ne sais jamais ce que j’arriverai à faire une fois que Milan est rentré de la crèche.
Une de choses qui a le plus changé n’est pas tant ma manière de cuisiner que celle de manger. Avant d’avoir un enfant, il était primordial pour moi de manger la nourriture chaude tant qu’elle était chaude. Mais c’est une des premières choses auxquelles j’ai dû renoncer en tant que jeune mère. Maintenant, je ne me soucie plus de savoir si la nourriture est à la température souhaitée : je suis trop contente de m’asseoir et de pouvoir manger.
Quant à Milan, son rapport à la nourriture est changeant. J’étais très enthousiaste vis-à-vis de l’approche de la diversification menée par l’enfant (baby-led weaning en anglais) et nous avons réussi à partager nos repas « normaux » avec lui pendant les premiers mois de cette approche. Puis nous avons cessé net car Milan refusait de manger ce qu’on lui proposait, à moins que ce ne soit donné à la cuillère ou que ce soit un morceau de baguette.
Nous composons donc avec cela, tout en lui proposant encore de la « vraie nourriture » quand nous en avons l’occasion. Nous aimons l’emmener quand nous déjeunons à l’extérieur et dans ce cas, il picore dans nos assiettes. Nous adorons qu’il aime l’aubergine au poivre de Sechuan de notre restaurant chinois préféré. Et j’étais très heureuse de pouvoir lui faire goûter sa première nectarine (probablement mon fruit préféré) aujourd’hui. J’avais l’intention de lui faire goûter un morceau de la mienne mais elle lui a tellement plu que je n’en ai quasiment pas mangé au final. Il m’a quand même donné le jus à lécher au bout de son petit doigt.
Quelles recettes de votre nouveau livre conseilleriez-vous à un jeune parent pris par le temps ? Vers quel légume vous tournez-vous pour préparer le dîner en semaine sur le pouce ?
Il y a beaucoup de recettes que je recommenderais. Mais comme nous sommes en été, je privilégierais la recette du taboulé aux aubergines et aux herbes fraîches. La préparation peut être fractionnée en petites étapes courtes et la recette permet de préparer une grande quantité de taboulé, qui vous nourrira pendant plusieurs jours. C’est une bonne façon de prévoir les repas les premiers jours après la naissance. La soupe au pain, à la tomate et à l’estragon est facile et rapide également. Elle ne nécessite pas beaucoup de courses et est très réconfortante pour un soir d’été, en semaine.
Je crois que vous le savez, Chocolate & Zucchini a été une source d’inspiration pour commencer mon propre blog en 2004. La blogosphère est très différente de nos jours : quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui commence un blog aujourd’hui ?
Je m’en souviens, et j’en suis très honorée, Debbie ! La blogosphère culinaire a en effet beaucoup changé mais je trouve ça vraiment chouette que nous soyons si nombreux actuellement. Quand j’ai commencé il y a 10 ans, se posait la question sous-jacente : « Humm, vous consacrez la totalité de votre site à ce que vous mangez ? » J’ai l’impression que les blogs culinaires ont permis de normaliser l’idée qu’on peut passer sa vie à rêver à son prochain repas ou à comment le préparer tout en étant une personne équilibrée et saine d’esprit. Mais je pense que le secret est le même maintenant qu’alors : soyez sincère, travaillez à apporter une valeur ajoutée à vos lecteurs, trouvez votre voix, créez des liens avec la communauté et faites preuve de persévérance.
Et vous, quel « parent qui cuisine » aimeriez-vous que j’interviewe pour Bulle & Blog ?
* Les cronuts sont une nouvelle sorte de pâtisserie, croisement entre le croissant et le donut, créée par le chef Dominique Hansel, en mai 2013, à New York.
NB : Clotilde a également donné une interview concernant la cuisine française végétarienne sur le site Food 52 récemment. Pour retrouver l’interview linguistique que j’ai faite d’elle en décembre dernier, cliquez ici.
[…] chocolateandzuchini.com (blog bilingue anglais de Clotilde Dusoulier, que j’ai interviewée en 2012 et dont j’ai aussi parlé ici) […]